1. on aurait imaginé une enfance difficile, on aurait imaginé un père en colère, rejetant la faute du décès prématuré de sa bien aimée sur la gamine aux yeux trop grands. peut-être que ç'aurait été plus dramatique, si ça avait été le cas - peut-être que ça aurait expliqué certains traumas. mais il n'en est rien! emma, elle a grandit avec l'amour d'un père prêt à tout pour protéger la petite fille de sa vie. seul enfant d'un couple ayant prit fin trop tôt, elle a toujours eu une relation particulière avec son père, peut-être du fait qu'ils aient été que tous les deux, justement. elle n'a pas cherché à faire fuir les potentielles prétendantes qu'il a pu rencontré (sauf une, mais ça, c'était parce qu'elle était vraiment terrifiante!), elle n'a pas rechigné au déménagement en amérique, quand bien même c'était étrange de quitter la grisaille environnante. elle a accepté sa belle-mère, et son demi-frère venu avec. elle a eu une belle vie, emma - et ça n'était pas toujours parfait, mais c'était sympa. 2. elle a eu quelques difficultés en classe, surtout suite au déménagement. ça a pas vraiment été évident, elle a dû perdre son accent dont se moquait des camarades immatures, s'adapter à un nouveau programme scolaire, tenter de s'intégrer à une communauté qui ne voulait parfois pas d'elle. alors elle a redoublé, mais ça a été - l'année d'après, elle s'est trouvé quelqu'un pour l'aider. simon kaiser, d'un an son cadet. garçon discipliné qui fut la meilleure chose qui lui est arrivé. elle a passé ses examens haut la main, s'est spécialisé en journalisme, et n'a jamais eu l'occasion de lui dire merci comme il se doit. 3. simon et elle, ça n'était pas voué à être une histoire d'amour. au contraire, ils étaient plutôt bien, en tant qu'amis - oh, elle a crushé sur lui quand elle a eu seize ans, s'est surprise à rêver qu'il devienne son amant. et puis c'est passé, elle n'en a pas parlé. et lui, à ses dix-huit ans, à se demander si elle voudrait pas lui faire perdre sa virginité. mais non, il ne s'est rien passé entre eux. pas avant plusieurs années. elle avait finalement vingt-trois ans quand ils se sont embrassés pour la première fois, il venait de rentrer de sa première mission après s'être engagé dans l'armée, et quand elle l'a vu sortir de l'aéroport, elle n'a pas pu résister. ils ne se sont jamais vraiment quittés, après ça. se sont mariés l'année d'après, ont eu un enfant. et qu'est-ce qu'ils étaient bien, ensemble! 4. elle a toujours eu une passion pour la musique - un attachement plus profond au piano. on l'imagine aisément, en pleine insomnie, glisser ses doigts longilignes sur les touches noires et blanches, emplissant l'air d'une mélodie mélancolique. elle ne compte plus le nombre de concerts auxquels elle a eu la chance d'assister, de ces ambiances différentes et de ces artistes n'ayant rien à voir ensemble. autant prête à se déchaîner face à the killers, qu'à fangirler devant les jonas brothers, avant de danser lentement sur la voix de james bay. sauter à pieds joints face à toto avant d'enchaîner avec céline dion. incapable de choisir un style en particulier, on a pu la voir aller à l'opéra, ou même prendre un week end entier pour aller voir hamilton à broadway. elle ne se lassera jamais de l'effet que la musique peut avoir, autant sur elle que sur son entourage - véritable fascination quand elle voit les visages d'autrui se tordre en écoutant telle ou telle mélodie. 5. elle a souvent eu peur, depuis que simon s'était engagé dans l'armée. elle a eu peur de ne jamais le revoir, elle a eu peur qu'on lui annonce son départ - oh, comme elle a mit du temps avant de lui faire confiance, avant d'accepter ce choix. oh, comme elle a pu le supplier de rester, d'arrêter, de se contenter de ce qu'elle lui offrait; que c'était assez. quand elle a découvert sa grossesse, quand on la renvoyer à meadow oaks - mais il n'y a jamais rien eu à faire. il était déterminé, simon, et emma, elle aimait ça, chez lui. juste, pas sur ce sujet. mais elle n'a jamais eu le choix, et même après la naissance de jonas il y a quatre ans, son esprit n'a jamais été suffisamment tranquille vis à vis du métier de son mari. 6. elle aimait bien écrire, emma, s'était toujours imaginé faire du journalisme. concilier, éventuellement, sa passion de la musique avec son envie d'écriture. pour être honnête, elle ne pensait pas rester à meadow oaks - se pensait mieux que ça, se voyait reporter pour broadway. la vie l'a vite rappelé à l'ordre, et elle s'est un peu rabattu sur ce qu'elle a trouvé. un magazine indépendant dans une ville voisine, où elle raconte les faits d'hivers du quotidien, répond aux lettres envoyé à cupidon, la mascotte du journal, et s'ennuie, majoritairement. simon lui avait promit qu'à leur trente-cinq ans ils déménageraient, elle avait accepté, prenait soin de son père tant qu'elle le pouvait. elle ne s'imaginait pas, emma, qu'elle aurait à faire face au deuil. 7. elle se rappelle du jour où elle a apprit son décès. se rappelle du général qui a frappé à sa porte, du regard vide sur son visage, des mots qu'elle devinait avant de les entendre. elle se rappelle avoir acquiescé, balancer un "merci de m'avoir prévenue", et avoir refermé la porte. elle se rappelle ne pas avoir pleuré - non, elle s'est dirigée vers la cuisine, et a fait des cookies. a sourit quand elliot est rentré à la maison, a décrété que c'était journée pizza. elle n'a toujours pas pleuré, emma, quand elle a entendu son garçon demandé quand serait la prochaine permission de papa. elle n'a pas pleuré, emma, quand elle a appelé son père le lendemain, pour lui annoncer la nouvelle. elle n'a pas non plus versé de larmes quand le corps a été rapatrié, ou a l'enterrement. non, emma, elle ne pleure que maintenant. 8. elle a perdue le sommeil, emma. ne l'a jamais beaucoup eu, mais principalement parce qu'elle restait éveillée jusqu'à des heures pas possible au cas où simon l'appelait. et aujourd'hui, souvent, trop souvent, la voilà sur le canapé, le téléphone posé sur la table basse du salon, attendant un appel qui ne viendra jamais. elle fixe le vide, espère, bêtement, laisse les cernes se creuser sous ses yeux. et quand elliot se lève, le matin, elle lui sourit, prépare un bol de céréales, et elle ne retournera dormir que lorsqu'il sera à l'école. elle a eu droit à un congé sans soldes pour le moment, ne sait pas combien de temps ça durera, mais elle se sent incapable d'y retourner. incapable d'affronter la vie de tous les jours. 9. on l'a forcé, c'est le regard de pitié de sa belle-mère, c'est la main sur l'épaule de son père, et c'est la tristesse qu'elle a pu lire sur le visage de son fils, c'était tout ça, cumulé, qui a fait qu'elle s'est senti forcé. elle a accepté, a dit qu'elle irait, et elle y est allé. elle n'y parle pas vraiment, au groupe de soutien, se contente de dire que ça va, qu'elle n'a pas besoin de ça. qu'elle ne comprend pas pourquoi elle est là. et il y a l'animateur, qui la regarde, de cette manière-là, vous savez, celle qu'on réserve aux gens dont on a pitié. elle déteste ça, emma, alors elle hausse les épaules, se contente d'écouter, se garderait bien d'avouer que, parfois, elle se reconnaît dans les mots prononcés. 10. et il y a ce regard qu'elle croise, souvent, quand, après une session, elle se retrouve sur le parking, accoudé à sa voiture, à fumer une cigarette. avant de rejoindre edwin un peu plus loin, elle le voit, ce garçon, cet homme, pardon. elle ne sait pas trop ce qu'il fait là, devant l'église accueillant le groupe auquel elle appartient. elle sait qu'il y en a d'autres, des groupes de soutien, le même jour, au même horaire — ceux des workaholics, ceux des alcooliques anonymes, il y a celui des dépressifs, aussi. il y en a d'autres, probablement, mais elle ne sait pas auquel il appartient. parce qu'un jour elle l'a vu sortir du sien et, la semaine d'après, il prenait un café dans la salle réservée aux survivants du cancer. elle se rappelle même que, avant cela, elle l'avait aperçu au groupe de ceux ayant subit une attaque terroriste. elle sait pas trop pourquoi il est là, emma, mais elle sait qu'il n'a rien à y faire. et parfois ça l'enrage, de le voir apprécier les donuts prévus pour ceux souffrant de l'addiction à la nicotine — encore pire depuis qu'il lui a sourit, un jour, l'air de dire, "je sais qu'tu sais que j'devrais pas être là."