Le week-end est arrivé avec son affluence de badauds. Les températures sont glaciales. Je grelotte sous mon manteau en daim. Le foulard noué à la gorge, j’observe l’équipe s’activer pour répondre au besoin des clients. Un sourire déchire la ligne droite de ma bouche. La fréquentation du ranch est bel et bien frappée par la concurrence, mais il continue de vivre. Le rire rauque de mon père résonne et s’éclate en écho dans ma tête. Il me manque. Ma mère aussi. La brise m’attaque. Mille piqûres instantanées sur mon épiderme. Une larme dévale ma joue. J’ai besoin de solitude, de m’éloigner, de rendre hommage à ceux qui m’ont offert ce bijou en partant trop tôt. Les bottes de cuir jusqu’aux genoux, je rejoins les écuries pour monter mon cheval, Braveheart. Une fois l’équidé prêt et le casque affreux sertissant mon crâne pour le protéger, je quitte l’agitation. Les sabots cognent contre la terre gelée. Quelques mèches débordant de mon couvre-chef captent les rayons fébriles de l’astre tout-puissant. La vitesse augmente, mon rythme cardiaque également. Le goût de la liberté s’installe. J’sais où je vais. Là-haut, sur cette colline qui domine la vallée. Un troupeau s’ouvre sur mon passage. Ma monture se dépasse et libère ses pattes engourdies au galop. De ma petite carrure, je sautille sur son dos, tous mes organes remuant au gré de ses mouvements. La symbiose est atteinte, mais il va falloir ralentir. Ça grimpe. Le chemin est désormais tortueux, plus rocailleux. Cependant, après plusieurs minutes à échanger avec mon étalon noir comme le charbon, nous y sommes. Je surplombe le parc et descends de ma selle en accrochant mon compagnon à un tronc d’arbre épargné par la foudre. Mon coeur continue de battre à tout rompre, assez pour que je hurle sous l’adrénaline, bras ouverts face au gouffre « Fuck the woooorld » Aucun jugement, j’ai oublié de faire mon adolescence ok ? Soudain, je suis repoussée par une rafale, me rappelant alors à quel point je ne suis rien sur cette planète. Mon regard se perdant vers l’horizon, je m’écroule sur un rocher à l’approche du coucher de soleil. « J’aimerais que vous soyez là .. » Papa, Maman.

@juan gonzález

Aujourd’hui, tu te sens seul. Tu sais qu’aujourd’hui, c’est, un jour, particulier. Il y a un peu plus de dix ans, tes parents faisaient leurs premiers pas sur le sol des Etats-Unis d’Amérique. Des premiers pas qui vous ont sûrement sauvé la vie. Des pas de soulagement, jusqu’à ce qu’ils soient dans l’obligation de retourner dans leur pays d’origine, le Mexique. Tout en devant, laisser leurs enfants sur le sol américain. Un déchirement pour ta mère. Tu le sais. Elle a pleuré. Crier. Elle a crié vos noms pour que vous vous retourniez. Comme un adieu qui déchire le cœur. Même si vous saviez, tes frangins et toi, qu’un jour vous les retrouveriez. Si seulement ils sont encore en vie. Tu n’as plus aucun contact avec eux, comme tes frères et sœurs que tu tentes tant bien que mal de retrouver, même si tu sais qu’avec les réseaux sociaux tout peut allez vite, tu n’es pas certain de vouloir retrouver tes racines. Tu as déjà prévu de remettre les pieds au Mexique pour retrouver tes parents, mais tant que tu n’as pas la nationalité américaine, tu ne peux pas, car tu sais qu’il sera difficile de remettre les pieds aux Etats-Unis après avoir été faire un petit voyage au Mexique, sans que l’on te soupçonne de quoi que se soit, avec simplement dans la poche, un droit de séjour, qui s’épuisera d’ailleurs le jour de tes vingt-cinq ans. Tu as besoin de souffler. De crier. Tu as besoin de te retrouver seul, loin de l’agitation du centre-ville. Loin de la colocation. Loin du boulot. Loin des cours. Même si l’endroit auquel tu penses, n’est pas si loin que ça. Il se trouve juste un peu plus en hauteur que le reste de la ville. Un magnifique panorama, qui surplomb la ville, et les magnifiques couleurs des prairies. Tu arrives en voiture à ce panorama. Tu te gares un peu plus loin, pour éviter les problèmes, tu arrives à pied, tu vois qu’un cheval est déjà au panorama, tu te doutes qu’il n’est pas venu tout seul. Ne faisant pas un bruit, tu t’assois sur un rocher. Ramenant tes genoux à ton cou. Tu écoutes attentivement la personne déjà présente parler à voix haute. Surement, parle-t-elle à des personnes disparues. Parce qu’on parle rarement à voix haute, seule, si ce n’est pas pour parler à quelqu’un qui nous manque cruellement. Tu n’oses pas la déranger, alors tu restes sagement assis derrière, toi aussi, plongé dans tes pensées.

@beth-ann hale

Des confidences dirigées vers le ciel, vers des êtres qui n’ont plus de substances réelles sur cette planète. Je me lamente, alors qu’il existe des situations bien plus terribles que la mienne. Des ours polaires sont sur le point de disparaître à jamais du globe. Des familles crèvent de faim aux quatre coins du monde et je pleurniche ? Je pleurniche pour des gens qui ne sont plus là et qui m’ont tout donné. Une gâtée pourrie. C’est tout ce que je suis. Une gamine apeurée qui ne sait absolument pas ce qu’elle fait au jour le jour. J’ai besoin de mes parents, je suis pas .. prête à affronter la vie. Et pourtant. Pourtant, j’abats un boulot monstre dès que le soleil se lève à l’horizon. J’affronte les menaces. J’apprends la plomberie pour les nuls sur Youtube. Je me débrouille mieux que je ne l’espérais, refusant même d’accepter que j’en suis capable. Ce manque de confiance, il reste ancré en moi. Ma problématique est mineure, si mineure. Le regard porté au loin, les jambes repliées vers ma poitrine, je me reprends. Je me ressaisis et me regroupe en un seul morceau bien solide. Je ne vais pas mourir. Bien que la tristesse écrabouille et comprime mon coeur, je tiens bon. « J’espère que vous êtes fiers de moi » C’est tout ce que je peux tenter d’atteindre à présent, une admiration imaginée de l’au-delà. Tandis que le ciel se colore chaleureusement, Braveheart s’agite dans mon dos. Me déconnectant alors de mes songes, je passe ma bouille par mon épaule et surprise, je ne suis plus seule. Les yeux s’écarquillent. Mon palpitant fait un bond rapide dans ma poitrine. Depuis quand tu es là sombre inconnu ? C’est .. angoissant. Pas de panique, on respire et .. on s’arme d’un beau galet. « Je ne vous obstrue pas trop la vue ? » Drôle de façon d’entrer en contact, mais je n’avais rien d’autre sous la main, à part ce caillou tranchant. « Vous êtes ici depuis longtemps ? Vous comptez me faire du mal ? » Parce que toute chose inconnue est une menace chez moi et je préfère anticiper mon issue tragique, je suis une maniaque du contrôle.

@juan gonzález    

Elle observe la même vue que toi lorsque tu te sens seul. La seule différence, c’est qu’elle, elle parle à voix haute aux personnes qui lui manque. Toi, tu te contentes de leur parler dans ta tête. Pas certains que se soit une meilleure solution. Un psychologue te dirait que t’es du genre à tout garder pour toi, que ce n’est pas bon, qu’il faut plutôt que tu extériorises ce que tu ressens. Tu vas peut-être finir par y croire un jour. Puis, elle fini par comprendre que tu es là. Son cheval s’est agité, elle s’est retournée et t’as remarqué. Merde. T’as bien l’air d’un con-là. « J’ai vraiment l’air d’un psychopathe ? » Tu fais mine d’être outré. Mais c’est vrai que t’as quand même le teint plutôt bronzé. On remarque que t’es mexicain à des kilomètres. Ici, tout le monde est trop blanc. « Vous n’êtes pas encore assez grosse pour m’obstruer la vue. » Tu pourrais même dire qu’elle rend la vue un peu plus agréable à tes yeux, parce que tu dois avouer, qu’elle n’est pas si moche que ça, cette jolie jeune femme. Tu t’approches alors du cheval, tout doucement, qui se laisse caresser bien gentiment. « Comment s’appelle cette jolie monture ? » Tu n’y connais rien en cheval, mais ils t’ont toujours impressionné. Tu les as toujours trouvés magnifiques. Tu as toujours rêvé de monter sur un cheval pour une balade en forêt ou bien mieux encore, au bord de mer, sur une plage de sable blanc. C’est beau de rêver, mais à moins de gagner au loto, tu sais très bien que cela n’est pas prêt d’arriver.

@beth-ann hale

Le choc. Une partie de mon jardin secret est arrivé à tes oreilles. Le pourpre colore mes pommettes pâles. Pourquoi ne pas avoir pas signalé ta présence, c’est carrément space et flippant. Normal que je me questionne sur tes intentions. Personne ne fait ça, à moins d’avoir un grain. Certes, physiquement, tu n’as rien du portrait-robot d’un vrai psychopathe, mais qui sait ? Les apparences sont parfois trompeuses, j’en ai déjà fait les frais. C’est juste que tu n’as pas le profil de l’américain pur souche. T’as sûrement des origines plus .. exotiques, ce qui ne change rien sur ta dangerosité. Des blancs caucasiens sont aussi barbares et violents que des hispaniques d’un cartel. « Non, c’est plutôt votre attitude qui ne me rassure pas. » Soit t’es un épieur du chagrin des autres, soit, bah, c’est un hasard, une simple coïncidence. Après tout, cette colline ne m’appartient pas, cela fait un moment que j’ai quitté ma propriété. Tu es dans tes droits. Ok, t’es plutôt cash et ça, ça me détend. Un rire s’échappe de mes lèvres. « Merci du compliment involontaire » Hochant la tête et ne souhaitant pas attraper un vilain torticolis, je me relève et m’approche du cheval que tu essaies d’apprivoiser. Si t’avais une carotte, il t’aimerait encore plus. « Braveheart. Je sais, c’est cucul la praline. » Les mains sur les hanches, je grignote la distance qui nous sépare, faisant confiance à mon animal pour sentir si tu n’es pas une menace. Tu sembles hypnotisé par la bête, caressant son crin si soyeux. Mes prunelles affûtées te passent alors au crible durant ton moment d’inattention. Joli spécimen. Peu commun. Un air de voyou. Un être imparfait qui crée la perfection. Ça se voit directement, on est pas du même .. monde. « Vous avez déjà monté une de ces bêtes ? » Les traits de mon visage deviennent plus lisses, moins constipés. Je reporte ensuite mon attention sur la crinière de l’équidé soucieux de mes réactions. J’voudrais pas que ce soit moi qui devienne trop indiscrète. « J’vous imagine bien avec un lasso sur le dos d’un autre de mes étalons. » Encore quelques éclats de rire percent le silence environnant. Je suis nerveuse, c’est pas anodin de se retrouver avec un inconnu en haut d’une colline paumée. « Et vous, comment dois-je vous appeler ? »

@juan gonzález